1e
Cuirassiers
La marche vers la guerre
LE MONDE des années trente est caractérisé par une tension internationale croissante. Les dictatures menacent la paix, encouragées par l'inertie des démocraties européennes.
Devant cette montée des périls et à cause de la mécanisation croissante, l'armée française, et surtout la cavalerie, se réorganise. De 1935 à 1936, une division de cavalerie entièrement motorisée est créée : la 1re Division Légère Mécanique ou DLM. Une deuxième est réalisée en 1937 et une troisième en février 1940. Ces divisions légères mécaniques sont conçues comme l'équivalent français des « Panzerdivisionen ». Elles peuvent aligner 220 chars dont 80 SOMUA, le meilleur char français de l'époque, et 40 des excellentes automitrailleuses Panhard. De plus, elles sont richement dotées en infanterie portée (trois bataillons de dragons).
Néanmoins, ces divisions souffrent encore de certains défauts, en particulier dans les transmissions au sein des escadrons de chars. Elles sont également pénalisées par l'absence d'artillerie automotrice, de moyens de franchissement lourds et surtout de chars lourds qui vont rester dans les Divisions cuirassées de réserve qui, elles, dépendent de l'infanterie.
Le 1er janvier 1940, le 1er Régiment de Cuirassiers est reconstitué dans les environs de SAUMUR. Il est affecté à la 3e Division Légère Mécanique. Le Régiment comprend deux groupes d'escadrons :un à deux escadrons de chars SOMUA,un à deux escadrons de chars HOTCHKISS, soit en tout quatre-vingt-huit chars et trois cent cinquante véhicules divers. Le chef de corps est le lieutenant-colonel de Vernejoul. La majorité des officiers est d'active, celle des sous-officiers, brigadiers et cavaliers est de réserve. Le Régiment forme, avec le 2e Régiment de Cuirassiers, la 5e Brigade Légère Mécanique aux ordres du général de Lafont.
En mars 1940, le Régiment reconstitué suit un entraînement pour une durée d'un mois, au camp de SISSONNE où se rassemble la 3e Division Légère Mécanique aux ordres du général Langlois. Le séjour au camp est dur. Les manœuvres et les tirs se succèdent sans arrêt à cause du peu de temps qui reste. Le Régiment devient vite opérationnel. Il est ensuite envoyé dans la région de Cambrai. Le matériel est remis en état et chacun prépare une installation pratique.
Le 14 avril, le Régiment reçoit l'ordre de se rapprocher de la frontière belge. L'état-major, le 1er Groupe d'escadrons et l'EHR (Escadron Hors Rang) sont stationnés dans le faubourg ouest de Valenciennes à La Sertinalle, tandis que le second groupe se trouve à Corde-sur-Escaut.
La Campagne des Flandres (10 au 30 mai 1940)
LE 10 MAI 1940 à 5 h 35, les Allemands envahissent le Luxembourg, la Belgique et la Hollande. Les armées françaises doivent se porter à leur rencontre. Le Corps de cavalerie dépend de la 1ère Armée qui supporte le choc le plus violent face à l'armée allemande au nord de Namur. Il est chargé de couvrir l'installation des groupes d'armées sur la Meuse.
Le 1er Régiment de Cuirassiers franchit la frontière belge le 10 mai à midi. L'aviation ennemie est très active. Elle survole les routes et cherche à ralentir la progression du Régiment. En fin de journée, la ligne Wavre-Gembloux est atteinte.
Le 11 mai, le Régiment parvient à son objectif : la Petite Gette dans la région de Jauche. Le 12 mai, il prépare des contre-attaques et occupe les positions suivantes : Jandrain, Jauche et Foix-les-Caves.
Le 13 mai se déroule le premier grand combat du Régiment en vue de ralentir l'avance allemande.
Le 13 au matin, l'aviation et l'artillerie allemandes sont très agressives. Les ennemis de plus en plus nombreux s'infiltrent partout. Leurs chars ont traversé la rivière dans le secteur d'ORP. Le point d'appui de JANDRAIN est attaqué de toutes parts par soixante-dix chars. Le PC du Régiment à JAUCHE est menacé. Il est impossible d'aller au secours des troupes stationnées à Jandrain. Le général Langlois autorise le repli. Vers 17 h 30, les chars n'ont presque plus de munitions. Le lieutenant-colonel de Vernejoul voyant le Régiment presque totalement encerclé prend la décision de sauver ce qu'il peut des escadrons SOMUA.
Au cours de ce dur après-midi, les officiers du Régiment ont eu un comportement exemplaire. En particulier, le commandant de Loustal, le sous-lieutenant Pasteur, le lieutenant de la Noë, le sous-lieutenant Issaverdens.
Le commandant de Loustal, après que le lieutenant-colonel de Vemejoul eut reçu l'ordre de quitter Jauche pour occuper une autre position, est chargé de prévenir tous les pelotons dispersés qui sont au contact. Le commandant de Loustal, dans son char, atteint le peloton du lieutenant de la Noë en plein combat, puis celui du lieutenant Dorance. En retournant au PC, il se trouve confronté aux chars allemands débouchant de toutes parts. Néanmoins, il réussit à s'esquiver.
Le sous-lieutenant Pasteur qui commande le 3e peloton tente une action à JANDRENOUILLE. Mais un détachement de char ennemi a débouché et bouclé définitivement le village. Pasteur fonce. Son peloton part comme à la manoeuvre : char 36 à sa droite, char 37 à sa gauche, 38 et 39 en appui. Son char, accompagné des chars 36 et 37, est encerclé par l'ennemi. Le 13 mai 1940, les équipages du sous-lieutenant Pasteur, du char 36 et 37 sont portés disparus.
Le lieutenant de La Noë, commandant le 4e peloton du 2e escadron, reçoit pour mission de défendre les lisières du village de JAUCHE face à JANDRAIN et particulièrement la route qui relie les deux villages. Lorsque Jandrain est attaqué, les trois autres pelotons exécutent une contre-attaque.
Le lieutenant de La Noë avec son peloton ouvre le feu sur les chars allemands qui s'infiltrent dans Jauche. Le peloton du lieutenant part vers une autre position. La Noë reste le dernier « en bouchon » sur la route. Il tire sans arrêt sur les chars allemands. Le lieutenant et son équipage sont portés disparus, victimes de leur courage au combat de Jauche.
Le sous-lieutenant Issaverdens se voit confier une mission délicate par le lieutenant-colonel de Vemejoul : il doit assurer le repli du 1er Régiment de Cuirassiers de Jauche puis rester en arrière-garde. Issaverdens accomplit avec brio sa mission. Néanmoins, il est gravement blessé lors du repli et fait 20 kilomètres à pied avant de trouver un side-car pour l'évacuer vers un poste de secours.
Pendant que se déroulent tous ces combats autour de Jauche, d'autres actions sont menées plus au nord par des éléments du 1er Régiment de Cuirassiers. Il s'agit par exemple du dégagement du 2e bataillon du 11e Régiment de Dragons devant MARILLES par les pelotons SOMUA du lieutenant Finat Duclos et du sous-lieutenant Spangenberger. L'avance des chars allemands est bloquée mais le sous-lieutenant Spangenberger et la plupart des chars disparaissent dans la mêlée.
Pendant ce dur après-midi du 13 mai, l'avance ennemie est sérieusement ralentie sur la Petite Gette. Les pertes pour le Régiment sont de quatre officiers, cinquante et un hommes de troupe et vingt-cinq chars. Partout où ils sont engagés, les chars du Régiment arrêtent l'avance ennemie, donnant ainsi à l'infanterie le temps d'arriver et de s'installer.
Enfin, le Régiment reçoit l'ordre de se replier dans la région du 4e Corps d'Armée.
Malgré les pertes, le moral est excellent et chacun est fier d'avoir contribué à remplir la mission du Corps de cavalerie. Tous s'attendent maintenant à être renvoyés vers l'arrière pour être reconstitués et pour participer à de nouvelles batailles. Mais il n'en est rien, car l'infanterie a peu de temps pour occuper ses positions et il faut rester à sa disposition. Le Régiment se charge de couvrir l'infanterie et de contre-attaquer sans cesse pour la dégager.
Le 16 mai, le Régiment est chargé de couvrir la Division marocaine. Le groupe HOTCHKISS se porte à Rigne et le groupe SOMUA dans les bois à l'est de Sart-Dame sur Avelines. Des contre-attaques sont préparées en direction de Tilly. Une menace se faisant sentir sur Genappe, le Régiment doit faire face au nord. Une première reconnaissance ne rencontre pas l'ennemi mais une deuxième ne reviendra jamais.
A 18 h 45, les contacts se produisent avec des chars légers dont le nombre augmente sans cesse. Une véritable attaque se développe. La situation est tragique mais l'ordre est formel : il faut tenir jusqu'à 2 heures du matin pour permettre l'écoulement de l'infanterie qui finalement se réalise. Le 17 mai, tout ce qui reste du Régiment est regroupé dans un bois au nord de la Louvière. Tous les chars hors d'état de combattre sont embarqués en chemin de fer afin de les soustraire à l'emprise allemande. Les chars en état de combattre sont réunis en groupements : les SOMUA passent aux ordres du lieutenant Dorance et du capitaine Amiel, les HOTCHKISS aux ordres du capitaine de Geffrier avec les sous-lieutenants Lagarde et Dépinay.
Ces deux groupements tiennent tête l'après-midi à des chars et à des fantassins devant Casteau-Cambron puis font mouvement vers le nord d'Arras où ils participent à la bataille.
Le 21 mai, les deux groupements sont engagés avec succès dans des combats très durs au sud-est d'Arras. Sur la route d'Arras à Béthune, le 3e escadron, sous les ordres du capitaine de Geffrier, est attaqué par un ennemi supérieur en nombre. Plusieurs chars sont touchés. Le sous-lieutenant Depinay rejoint le PC. Seuls restent le lieutenant Dorance et le sous-lieutenant Lagarde avec leurs chars. Le 25 mai, n'ayant plus un char utilisable, ils rejoignent le Régiment.
Le Régiment est évacué hors de la poche de Dunkerque. Seuls partent les hommes et les paquetages individuels qu'ils peuvent porter sur eux ; ce qui reste des matériels est abandonné sur place. Le 28 mai, l'état-major et le 1er Groupe d'escadrons sont évacués vers le cargo Sauterne ; le second groupe et l'EHR (Escadron Hors Rang) sont conduits vers le Hird puis vers le Douaisien. Le Sauterne gagne Cherbourg. Après la destruction du Douaisien, le groupe embarque à nouveau sur le Thérèse Louis remorqué jusqu'à Douvres.
La première partie de la campagne se termine. Le Régiment a quinze tués, cinquante-deux blessés, quatre-vingt-sept disparus et a perdu tous ses matériels.
L'état-major et le 1er Groupe retrouvent le 27e Groupe et l'EHR à Conches-en-Ouches, le 2 juin. Le Régiment est scindé en deux. Un groupe de SOMUA aux ordres du commandant de Loustal, avec un escadron du 2e Régiment de Cuirassiers, est constitué. Ce groupe est sous les ordres directs de la 3e DLM et a pour tâche de couvrir la division dans la région ou de protéger l'installation des dragons portés à Gravillers. Le 25 juin 1940, jour d'entrée en vigueur de l'armistice, ce groupe part s'installer à Ville-Toureix près de Riberac où il revient aux ordres du lieutenant-colonel de Vemejoul.
Le reste du Régiment, quant à lui, participe à la défense de la Loire en y interdisant l'accès des ponts. Aucun contact n'a lieu dans le sous-secteur de Cinq-Mars, car les Allemands portent tous leurs efforts sur Tours. C'est à Port-Boulet que la défense est la plus dure, car les différents essais de mise à feu ont échoué. L'ennemi réagit vigoureusement devant le pont. Plusieurs fois dans la journée du 20 juin, l'artillerie allemande bombarde les alentours du pont et occasionne des pertes.
Entre-temps, l'ordre de repli est arrivé, le Régiment évite de justesse les patrouilles allemandes et atteint le nord de Chatellerault.
Le 29 juin, le Régiment est envoyé à Teyjat, à côté de Riberac, où il reste jusqu'à sa dissolution, le 1er août. Le même jour, le Régiment est recréé dans le Tarn-et-Garonne, mais son existence est éphémère puisqu'il est dissous une seconde fois, le 25 août à Montauban.
1er Régiment de Cuirassiers
1860 - de Blanchaud
1913 - Lasson
1864 - Pelletier
1915 - Gillois
1865 - Le Forestier de
Vendoeuvre 1917 - Viry (dissolution 1919)
1871 - de Renusson
d'Hauteville 1940
- de Vernejoul
1940 - du Chouchet
Citation a l'ordre de l'armée
1940 : 5ème Brigade légère Mécanique (1er et 2ème Cuirassiers)
« Unité de nouvelle formation, instruite par des chefs éminents : le général de Lafont, le colonel du Vigier (2ème R.C.), le lieutenant-colonel de Vernejoul (1er R.C.) qui surent lui communiquer leur esprit du devoir et leur foi.
Après une marche à l'ennemi, longue et rapide, mettant déjà à l'épreuve l'énergie des équipages de chars, ces unités sont entrées d'emblée avec un allant magnifique dans la fournaise du combat sous les ordres de ces mêmes chefs qui les avaient instruites, luttant victorieusement contre les unités mécaniques allemandes, arrêtant leurs attaques et les contre-attaquant sans arrêt, permettant ainsi à la D.L.M., du 10 au 13 mai 1940, de remplir sa mission.
Employés ensuite, du 14 au 23 mai, soit dans le cadre de grandes unités attaquées par des engins blindés, soit dans le cadre de la D.L.M., ces régiments ont affirmé la même ardeur et le même mépris du danger.
La 5° Brigade (1er et 2ème Cuirassiers) peut être citée en exemple de ce que peut faire une troupe instruite, disciplinée, ayant l'esprit de camaraderie, de devoir et de sacrifice.»