2e DCR



Lt-Col LE GOYET                                              REVUE HISTORIQUE DE L'ARMEE 1964 N°1  

Dans le plan général de la manœuvre Dyle, la 2e D.Cr. est une unité de réserve générale à la disposition du général Georges, commandant en chef le front du Nord-Est. Elle est mise en alerte dès le 11 mai et, le 13 mai à 12 h 30, elle reçoit l’ordre de faire mouvement à partir de 20 heures, en direction du Nord, pour se mettre à la disposition de la 1ère armée.

Quelle est alors la situation générale?

Dans la nuit du 12 au 13 mai, notre aviation a signalé dans les Ardennes les mouvements de nombreuses colonnes motorisées ennemies, tous phares allumés, se dirigeant vers la Meuse. Dans la journée du 13, les Allemands attaquent nos positions sur la Meuse, dans la région de Sedan et de Dinant, et traversent le fleuve.

La 2e D.C.R. est engagée du 13 au 20 mai 1940 dans une situation sans cesse mouvante et de plus en plus dramatique. Tronçonnée par suite des circonstances, tiraillée constamment par les ordres contradictoires d’autorités diverses, elle ne peut, malgré l’initiative de tous les commandants de formations et la volonté évidente de son chef, se regrouper et agir comme une unité de choc, capable d’arrêter et d’anéantir les formations blindées ennemies se ruant dans la brèche ouverte entre les IXe et IIe armées.

Avant d’étudier l’action de cette grande unité, voyons ce que représente cette 2e D.C.R.

Elle est commandée par le général Bruché.

Créée le 15 janvier 1940, elle est cantonnée au 10 mai dans les environs de Châlons-sur-Marne autour du camp de la Haute-Moivre.

Elle est composée de la 2e demi-brigade de chars lourds B 1 bis, lieutenant-colonel Roche, avec 8e B.C.C. (commandant Girier) et 15e B.C.C. (commandant Bourgin) ; au total, soixante-neuf chars

- la 4e demi-brigade de chars légers Hotchkiss 39 lieutenant-colonel Goîhen, avec 27e B.C.C. (commandant Aubert) et 14e B.C.C. (commandant Cornic) ; au total, quatre-vingt-dix-neuf chars.

Son infanterie est le 17e bataillon de chasseurs portés (17e B.C.P.) commandé par le commandant Mahuet.

Son artillerie est le 309e régiment d’artillerie tractée tous terrains (309e R.A.T.T.T.) commandé par le lieutenant-colonel de Morin. Il comprend deux groupes de 105 C (24 pièces) et une batterie anti-chars de 47 (8 pièces).

La division possède en outre une compagnie du génie, une compagnie mixte de transmissions, des forces aériennes : une escadrille d’observation de neuf avions.

Il faut signaler toutefois que, les autres divisions cuirassées (1ère, 3e, 4e) n’ayant pas d’escadrille identique, celle de la D.C.R. sera employée au profit de toutes les divisions cuirassées.

Les deux tiers des chars de la 4e demi-brigade (chars H 39) ne sont pas équipés du canon de 37 mle 38, mais du canon mle 18, presque inefficace contre un blindage supérieur à 15 mm.

Au 17e B.C.P., la compagnie d’engins a des tracteurs tous terrains non blindés et il manque à ce bataillon la section d’automitrailleuses.

La 2e demi-brigade et le 17e B.C.P. sont en majeure partie composés de Lorrains, jeunes, dynamiques, très bien encadrés, bien instruits.

La 4e demi-brigade, formée avec les 27e et 14e B.C.C. de Vannes, a des éléments un peu plus âgés, mais ses Bretons sont très solides et très dévoués.

Le 309e R.A.T.T.T., composé surtout d’Alsaciens, possède les mêmes qualités.

L’ensemble forme une très belle unité qui, entre janvier et mai, a pu s’instruire et acquérir une très bonne cohésion.

L’accent a été mis sur des exercices ayant pour thèmes la contre-attaque contre une irruption d’engins blindés et l’intervention en vue d’achever une rupture pour exploitation par des grandes unités mécaniques ou motorisées.

En conclusion, au 10 mai, la 2e D.C.R. peut être considérée comme une formation de choc capable de briser les attaques ou les raids des Panzer ennemies et, grâce à la supériorité de ses chars B, de les détruire.

Le déplacement de la 2e D.C.R. se fait de la façon suivante :

- par voie ferrée tous les éléments chenillés et l’artillerie,

- par voie routière: tous les éléments sur roues.

Le mouvement par V.F. a déjà été étudié : il faut vingt et une rames légères et huit rames lourdes pour enlever les éléments combattants. L’on se heurte aussitôt à un problème très difficile la S.N.C.F. ne dispose pas du matériel suffisant et ne peut livrer les rames dans les délais prévus. Le commandement avait pourtant été prévenu que la S.N.C.F. ne pourrait enlever simultanément les 1ère et 2e D.C.R. et il faut attendre pour enlever la 2e que les rames utilisées par la 1ère soient revenues.

Fait encore plus grave et qui aura des conséquences tactiques désastreuses, l’officier de l’état-major de la division, chargé du transport, est obligé de modifier complètement les prévisions l’ordre et la composition des rames ne correspondent pas du tout à l’enlèvement du matériel prévu. Les premiers trains emportent des unités d’échelon et de transmissions, et les bataillons de chars B ne sont enlevés que le 14 après-midi. De plus, la S.N.C.F. ne peut rassembler que six rames lourdes au lieu de huit et des unités de chars B sont déjà dissociées au départ.

Le retard pour la mise en route des rames s’échelonne de 7 à 48 heures.

Il est encore accentué par le bombardement des gares et voies ferrées par l’aviation allemande Saint-Menehould le 14, Villers-Doncourt, Sommeilles-Nettancourt, Saint-Hilaire-au-Temple le 15.

Le commandement maintient le départ par voie routière des unités sur roues de la 2e D.C.R. le 13 au soir. Le passage au point initial à Châlons est fixé à 20 heures. Ainsi, il n’est tenu aucun compte du retard des mouvements par V.F., cette hâte à faire partir les colonnes formant au total douze cents véhicules va encore accroître la dispersion.

En raison de l’heure d’arrivée de l’ordre mouvement à la division (18 heures), l’heure passage au point initial est fixée à 22 heures avec comme point de première destination Neufchâtel-sur-Aisne, par Châlons et Reims.

Le 14 mai au matin, la situation a beaucoup évolué. La poche de Sedan, 5 kilomètres de large et 6 de profondeur le 13 au soir, s’est agravée au cours de la nuit, les blindés ennemis traversent la Meuse dans la région de Dinant.

Le commandement décide alors de rassembler la 2e D.C.R. dans la région de Signy-l’Abaye de la mettre à la disposition de la IXe armée.

La colonne sur route se trouve le 14 mai au matin dans la région de Landifay (nord-ouest de Marle). Elle reçoit l’ordre, au début de l’après-midi, de se mettre immédiatement en mouvement pour se rendre dans la région des bois de Signy-l’Abbaye. De même, les premières rames arrivant en gare de Busîgny sont dirigées vers Wassigny, La Capelle, Hirson, pour y être débarquées.

Les éléments sur roues et les éléments sur V.F. vont se trouver séparés de 70 km... Du 14 au 21 mai, les éléments de ravitaillement, de réparations d’une part et les unités combattantes d’autre part vont vainement chercher à se regrouper. Les différentes unités seront engagées au fur et a mesure de leur débarquement, sans support logistique, dans des actions locales, souvent confuses et dispersées.

L’on ne peut, pendant cette période, parler de la 2e D.C.R. comme d’une grande unité.

Les inconvénients de ce fractionnement vont encore s’amplifier du fait que les différentes formations, échappant à l’autorité de leur chef, le général de division, seront utilisées par des autorités très diverses commandants d’armées, de corps d’armée, de divisions, d’inspection des chars, coordonnateurs du Haut commandement.

Les ordres donnés par ces hautes autorités veulent s’adresser à l’ensemble de la division, alors qu’en réalité ils ne peuvent atteindre qu’une faible partie. Aussi y a-t-il disproportion entre les missions demandées et les moyens employés.

Il est impossible d’établir une véritable synthèse des actions de la 2e D.C.R. pendant la période considérée. Il faut se borner à enregistrer chronologiquement les événements survenus aux différentes fractions en mettant l’accent sur les particularités de leurs interventions et en étudiant brièvement les opérations de nos adversaires.

 

Le 14 mai, le général Bruché se trouve à 9 heures au P.C. de la Ire armée à Valenciennes. Il lui est indiqué que sa division sera rassemblée dans la région de Charleroi. Mais, en se rendant auprès du Régulateur Général de Valenciennes, le chef d’état-major de la 2e D.C.R. apprend que la division est placée sous le commandement de la IXe armée pour une contre-attaque éventuelle et que les différentes rames vont être dirigées vers Wassigny - La Capelle - Hirson.

Le général Bruché atteint le 14, à 20 heures le P.C. de la IXe armée à Vervins. L’état-major de l’armée a déjà donné des ordres pour le regroupement dans la région de Signy-l’Abbaye envisage d’employer la division en contre-attaque sur le flanc ouest de la poche de Sedan. Le P. de la division est fixé à Rocquigny.

Dans l’après-midi du 14, la colonne routière fait mouvement vers Signy-l’Abbaye. Les renseignements sur l’ennemi indiquent que ce dernier est déjà dans la région de Poix-Terron, Omo ; les colonnes de réfugiés confirment ces faits. Seuls les éléments indispensables à la bonne marche des postes de commandement continuent vers Signy-l’Abbaye ; les autres sont dirigés sud de l’Aisne, ce qui accentue encore le fractionnement.

Pendant ce temps, quelques rames arrivent un certain nombre de gares. Des unités débarquent les 1ère et 2e compagnies du 17e B.C.P. 17 à 20 heures à La Capelle

-la batterie anti-chars du 309e R.A.T.T.

17 heures ; la 4e batterie du même régiment

15 à 6h30 à Wassigny

la 3e compagnie du 27e B.C.C. le 2 heures à Etreux

la 1ère rame du 8e B.C.C. (état-major - quatre chars) le 15 à 5 h 30 à Hirson.

Toutes ces unités reçoivent l’ordre de se diriger dans les meilleurs délais vers Rocquigny.

 

15 mai

Le 14 mai, la IXe armée n’a pu s’opposer l’avance des 5e et 7e Panzer entre Dinant et la frontière franco-belge, la lIe armée n’a pu l’ennemi à la Meuse dans la région de les 1ère et 2e Pz du général Guderian leur conversion vers l’ouest. Des formations blindées et motorisées (6e et 8e Pz) abordent la Meuse à Monthermé et Nouzonville. L’isolement de la IXe armée en son centre et de la lIe sur sa position arrière déterminent la rupture entre nos deux armées.

Le général Touchon reçoit le 14 au soir la mission de rétablir cette liaison par un détachement d’armée comprenant le 23e C.A., la 14e D.L, la 2e D.C.R., le groupement des bataillons d’instruction et les troupes de la IXe armée engagées dans sa zone. Cette décision n’étant pas encore parvenue à la 2e D.C.R., le général Bruché adresse le 15 mai, à 8 heures, au général commandant la Ixe armée, un compte rendu sur la situation de sa division et, devant le fractionnement des différents éléments, propose de les regrouper au sud de Vervins dans le quadrilatère Burelles, Bosmont, Vigneux, Harcigny, de façon à être dirigés dans toute direction utile ". Une copie de ce compte rendu est également expédiée au général Keller, inspecteur des chars, qui précisément arrive au P.C. de la division en fin de matinée, y apportant des ordres. Il n’est tenu aucun compte du désir du général Bruché de regrouper sa division. En revanche, elle reçoit la mission de barrer les directions Signy-l’Abbaye, Wassigny, Chaumont, Porcien. Hélas, le général Bruché ne peut disposer pendant 24 heures que des moyens suivants :

- deux compagnies de chasseurs du 17e B.C.P., une compagnie de chars B réduite à quatre chars, une batterie d’artillerie, une section moto.

Deux groupements sont néanmoins constitués l’un à Signy-l’Abbaye, sous les ordres du lieutenant-colonel Golhen commandant la demi-brigade, l’autre à Wagnori, sous les ordres du commandant Mahuet commandant le 17e B.C.P. Ils seront étoffés au fur et à mesure de l’arrivée d’autres éléments de la division.

Pendant que ces troupes essayent de gagner les emplacements fixés, le général Bruché se rend à Romagne, P.C. de la 14e D.J., puis à ChâteauPorcien auprès du général Touchon.

Le colonel Perré le remplace au P.C. de la division. Les renseignements qui y parviennent sont très alarmants : les pointes motorisées allemandes atteignent la route Liart-Rozoy et la région de Marlemont. Elles se heurtent à un détachement de l’Intendance de la 2e D.C.R. et y causent quelques pertes. C’est le premier contact de la division avec l’ennemi. C’est aussi l’illustration parfaite de l’incohérence de la situation.

Si dans l’après-midi les deux compagnies de chasseurs du 170 B.C.P. occupent bien les positions assignées dans les régions de Signy et de Wagnon, il n’en est pas de même de la compagnie de chars B et de la batterie d’artillerie.

Le colonel Perré, après une liaison rapide mais vaine à Romagne où il espérait recevoir des ordres complémentaires du général Bruché, revient à Rocquigny. Désirant toujours regrouper les éléments épars de la division, il replie le P.C. sur Dizy-le-Gros... Par un officier du 15e B.C.C., il fait parvenir aux lieutenant-colonel Goîhen et commandant Mahuet l’ordre verbal de se replier sur Château-Porcien en cas de nécessité. Cet ordre est-il mal transmis ou mal interprété? Les deux commandants de groupements gagnent Rethel à 18h45. Le commandant Mahuet rencontre d’abord le général Bruché, puis le général Touchon à 19h30 à Château-Porcien. Après étude de la situation, le général Touchon donne l’ordre à la 2e D.C.R. de remettre enplace à Wagnon et à Signy-1’Abbaye les deux groupements Mahuet et Goihen avec La même mission que précédemment.

Mais l’exécution de ces mouvements à 20 h 30 est rendue très difficile par l’encombrement des routes, et à Novion-Porcien à 22 h 30 le groupement Mahuet est au contact des blindés allemands.

Dans l’impossibilité de gagner Wagnon, le groupement Mahuet s’installe à Sorbon pour couvrir Rethel.

Le lieutenant-colonel Goîhen, dont le groupement s’est enrichi de la 3e compagnie du 27e B.C.C. débarquée à Etreux à 2 heures, tient encore Novion-Porcien à 22 heures, mais, pressé par l’action allemande, envoie à Rethel un agent de transmission pour savoir le temps dont il dispose avant que les ponts sur 1’Aisne ne soient détruits.

Le chasseur Fabre, chargé de cette mission cherche en vain un état-major qui puisse répondre à cette question. Après avoir erré dans Rethel, il réussit à découvrir un P.C. où se trouve le général de Lattre de Tassigny commandant la 14e DI., " étudiant avec ses officiers la possibilité de défendre le passage de Rethel avec l’unique escadron restant du 28e G.R. 

Voici le récit de cet entretien d’après le compte rendu du capitaine Perrette

- Chasseur Fabre : " Mon général, je désirerais savoir quand les ponts sauteront. "

- Le général : " Ils ne sauteront pas. Rien n’a été aménagé et je ne peux avoir d’explosifs.., mais je les détruirai au canon quand l’ennemi s’y présentera. "

- Un officier de l’état-major : " Vous n’en avez pas le moyen, mon général, vous n’avez pas une pièce. "

- Chasseur Fabre : " Si j’osais, mon général, je vous conseillerais de ramener aux trois accès de Rethel trois chars que je viens de voir en détresse mais qui peuvent sans doute aller jusque là. Ils ont les moyens d’interdire pendant un certain temps les routes qu’ils commanderont. "

Ravi de ce renfort inattendu, le général de Lattre donne aussitôt des ordres pour incorporer ces trois chars dans le dispositif de défense, et quand le groupement Goihen repasse l’Aisne, le général s’annexe en plus la ire compagnie du 17e B.C.P. comme soutien de l’escadron du G.R. 28.

Cependant, les débarquements se poursuivent :

L’état-major du 309e R.A.T., une partie des B.H.R. et C.R.2, la 4e batterie, débarquent à Wassigny (à l’ouest d’Etreux) et se dirigent vers la forêt de Signy-l’Abbaye. A 18 h 30, au moment où ils vont franchir la route Liart-Montcornet au sud de Blanchefosse, ils voient des colonnes ennemies sur cet itinéraire et se replient vers l’ouest pour gagner Dizy-le- Gros, d’où, hélas, le P.C. de la 2e D.C.R. vient de partir. Encore une unité qui erre à la recherche d’ordres.

Il en est de même de la batterie anti-chars 10/309 qui, rencontrant une colonne ennemie sur la route Liart-Montcornet, y perdra deux pièces ; le reste est regroupé dans la soirée à Vervins.

- La compagnie d’engins du 17e B.C.P. débarque à La Capelle à 14h30, se dirige vers Signy-l’Abbaye, mais à la sortie de Montcornet à 16h30 elle se heurte à un élément motorisé. Les chasseurs se battent très courageusement, infligent à l’ennemi des pertes sévères mais la surprise a joué en faveur de nos adversaires, et deux officiers, huit sous-officiers, quarante-sept chasseurs sont portés disparus, dix canons de 25 tombent aux mains des Allemands. Le reste est recueilli par un convoi du 117e RI. se dirigeant sur Laon.

A 17h 15 débarquent à La Capelle les 5e et 6e batteries du 309e R.A.T. Elles se dirigent aussitôt vers Blanchefosse, mais ne peuvent dépasser Coingt.

Les ordres du général Touchon, un bataillon de chars à Voulpaix, obéissant aux ordres de la IXe armée, des éléments se replient vers l’ouest sans ordres, d’autres débarquent et ne savent que faire, enfin un certain nombre en chemins de fer ignorent leur destination. Il est difficile d’imaginer plus grande confusion

Celle-ci s’accentue encore vers 20 heures.

Le général Touchon vient d’apprendre l’existence de la pointe blindée ennemie sur Montcornet. Il demande au général Bruçhé de la prendre de flanc en contre-attaquant de Signy-l’Abbave sur Aubigny.

Hélas, avec quels moyens ? De plus, au cours de son déplacement de Dizy-le-Gros à SaintFerjeux, le P.C. est harcelé par des patrouilles allemandes, se disperse, et seuls quelques éléments parviendront à Saint-Ferjeux. De tous les officiers de liaison envoyés à la recherche des unités, aucun ne revient au PC.

Vers minuit, arrive un ordre du général Touchon mettant la 2e D.C.R. à la disposition du général Libaud. Personne ne sait où se trouvent ce général et son corps d’armée. Un officier de liaison va essayer de les retrouver pour expliquer que la contre-attaque dans la région de Montcornet sera réduite à une compagnie de chars H, si On réussit à lui faire parvenir les ordres.

Vers 1 heure, le 15, arrive à Saint-Ferjeux le général Keller. Il signale que le détachement d’armée du général Touchon commence son repli au sud de l’Aisne et donne l’ordre à la 2e D.C.R. d’en faire autant. De nouveaux officiers de liaison partent dans la nuit porter les nouvelles instructions et le P.C. de la division se dirige vers Roisy.

15 mai soir

Chez l’ennemi, le XIXe corps d’armée allemand du général Guderian termine dans la journée du 15 l’exécution de son changement de direction vers l’ouest et, si la 1ère Pz subit un choc à La Horgne-Chagny, Bouvellemont, la 2e Pz a progressé au-delà de la ligne Launois-Neuvizy. Ses éléments de tête se heurtent à 20h30 à Novion-Porcien aux groupements du commandant Mahuet et du lieutenant-colonel Goîhen.

Plus au nord, au 41e corps blindé du général Reinhardt, la 6e Pz, après le forcement des positions françaises à Monthermé, lance ses reconnaissances (détachements Von Esebeck) qui atteignent Liart à 17 heures, Rozoy et Montcornet à 20 heures.

Ces détachements se sont heurtés aux unités de l’intendance de la 2e D.C.R., à Marlemont.

La 8e Pz atteint le soir Orchimont.

 

16 mai

Au cours de la journée, le fractionnement s’accentue encore à la division : le général Touchon a dans sa zone d’action des éléments de la 2e D.C.R., le général Giraud a officiellement la 2e D.C.R. à sa disposition ; le général Doumenc, coordinateur du G.Q.G., délègue au général Delestraint la mission de contrôler l’action des chars entre Le Nouvion et La Fêre. Ces hautes autorités vont donner à la 2e D.C.R. des missions différentes, disproportionnées aux moyens rassemblés, sans tenir compte de la dispersion des unités et de l’impossibilité de leur faire parvenir des ordres.

Au nord, les rames de la 2e D.C.R. continuent à débarquer.

Trois compagnies de chars H (deux du 14e B.C.C., une du 27e B.C.C.), arrivant à Etreux, ne reçoivent pas d’ordre, le commandant Aubert, commandant le 27e B.C.C., décide alors de garder les ponts sur I’Oise.

Au sud de l’Aisne, Le général Bruché ne dispose que de tous les éléments sur roues (non combattants) de deux compagnies de chasseurs, une compagnie de chars H, quatre chars B et une batterie d’artillerie.

Le général Touchon, dont le P.C. est maintenant à Hermonville, apprend par le capitaine Chazal-Martin, officier de l’état-major de la 2e D.C.R. qui a établi à Reims une permanence de recueil, la présence du groupement Aubert dans la région d’Etreux. Il rédige alors l’ordre n° 8 - 16 mai -6 heures - qu’il envoie au général Barbeyrac de Saint-Maurice, commandant la 87e D.I., qui a du débarquer dans la région de Saint-Quentin-Guise

D.A. P.C. le 16 mai, 6 heures. E.M. -3 B.

ORDRE N° 8

La 2e D.C.R. est rassemblée région Le Nouvion-Etreux.

Si vous n’avez pas reçu d’ordre supérieur contraire, prenez-en le commandement et, en appuyant par votre division, cherchez à contre-attaquer les chars ennemis qui progressent de Montcornet vers l’ouest.

Cette action est des plus importantes.

L’Armée tient le passage de l’Aisne, d’Attichv à Œilly. En fin de manœuvre, vous pourriez, suivant les événements, vous raccrocher à elle sur les affluents de l’Aisne ou le canal d’alimentation.

Lancez les chars avec décision et sans prétendre les mettre au pas de l’infanterie.

Le Général TOUCHON,

Commandant le D.A.

Signé: TOUCHON.

Cet ordre, apporté par le capitaine Chazal-Martin, parvient à 10 heures au commandant Aubert. Celui-ci a reçu une autre mission, la défense des ponts de l’Oise d’Oisy au nord, à La Fère au sud. Cette mission lui a été donnée par un officier de liaison de la Ixe armée et un officier du groupement cuirassé ; elle est d’ailleurs confirmée par le général Delestraint.

A 10 heures, le général Bruché et le colonel Perré se présentent à Hermonville au P.C. du général Touchon. Le général commandant la 2e D.C.R. rend compte qu’il a pris l’initiative de faire défendre le pont d’Asfeld. Le général approuve et un officier de l’état-major du détachement d’armée confirme que la possession de ce pont est capitale et annonce l’arrivée de la 10e D.I. dans cette région. Le général Bruché donne des ordres pour que la défense du pont d’Asfeld soit renforcée par une compagnie de chasseurs et trois chars du sous-lieutenant Robert. Il ignore que ces éléments ont été annexés par le général de Lattre.

A 8 heures est arrivé au général Keller un message du G.Q.G. prescrivant à la 2e D.C.R. d’attaquer dès que possible sur Montcornet.

Passé par radio sous la forme suivante, il ne parvient au général Bruché qu’à 13 heures

" Rejoindra aussi vite que possible le Nouvion (Mairie) avec son E.M., ses commandants de demi-brigade, sa compagnie de transmissions. Y retrouvera le général Keller qui prendra le commandement si le général Bruché n’arrive pas à temps. "

Il faut noter que ce message n’indique pas la mission à remplir.

Le général Bruché donne immédiatement les ordres pour le départ vers Le Nouvion, précise la subordination au détachement d’armée des éléments combattants de la 2e D.C.R. au sud de l’Aisne et ordonne au commandant Gouin de regrouper les échelons dans la région de Beine (10 km est de Reims).

Le général Bruché, au moment où il quitte son P.C. de Roizv, ignore qu’une partie de ses unités participe à la défense des ponts de l’Oise et que le général Giraud a donné l’ordre à la 2e D.C.R. à partir de 5 heures le 16 de " commencer le nettoyage de la route Marle-Montcornet-Rosoy-sur-Serre-Liart, pour y détruire tous les éléments de la division cuirassée ennemie qui se sont aventurés dans cette zone sur les deux rives de la Serre ".

Le général Giraud précise qu’en fin de progression elle s’installera face à l’est sur la rive sud de l’Aube et du Thon tenant tous les passages de la rivière entre Liart et Bussilly... tiendra tout spécialement le point d’appui de Liart... et installera le P.C. de la 2e D.C.R. sur la route de Landouzy-la-Ville à Brunehamel

En fait, cet ordre donné à la 2e D.C.R. n’est exécuté que par le groupement du commandant Bourgin : deux compagnies de chars du 15e B.C.C. et une compagnie de chasseurs du 17e B.C.P.... L’attaque prévue ne peut débuter qu’à 8 h en raison de l’encombrement des itinéraires. Elle se développe sur deux axes l’un au de la Serre Cilly-Bosmont-Tavaux-Chaourse. Montcornet (1ère compagnie 15e B.C.C. et 3e compagnie 17e B.C.P.), l’autre au sud : route RN 46, Marle-Montcornet (2e compagnie 15e B.C.C.).

Cette dernière unité prend contact avec l’ennemi vers La Neuville et l’oblige à se replier... La progression jusqu’à Montcornet est facile...

A 11 heures, un officier de l’état-major de la IXe armée apporte au commandant Bourgin l’ordre signé du général Giraud à 9 heures de " se redresser vers le nord pour contre-attaquer en direction Plomion-Landouzy.

Mais les chars sont à bout d’essence. Il faut les ravitailler à Berlancourt (4 km nord-ouest de Marie) où ils arrivent à 13h30. Avec une seule pompe il faut quatre heures pour terminer l’opération, et le groupement ne se dirige vers Guise qu’à 18 heures.

A hauteur de Clanlieu, le commandant Bourgin apprend qu’il est possible que Guise soit déjà occupé... il se dirige alors vers Origny-Sainte-Benoite, qu’il trouve occupé par des chars du 8e B.C.C., et se regroupe à Homblières, qu’il atteint à 22 heures.

Depuis la veille, ce groupement a parcouru 150 km.

Pendant que se déroule l’opération prescrite par le général Giraud au commandant Bourgin, le G.Q.G. est intervenu en prenant la décision suivante : abandon de la contre-attaque sur Montcornet, défense à tout prix de la ligne de l’Oise -canal de la Sambre à l’Oise - d’Oisy à La Fère.

La IXe armée n’a plus de troupes disponibles à installer derrière la coupure ; pour l’instant, il n’y a sur place aucune division d’infanterie pouvant remplir cette mission. En attendant

l’arrivée de renforts, le G.Q.G. donne à la 2e D.C.R. l’ordre de défendre les 60 km de cours d’eau, et le général Delestraint, de l’Inspection des chars, à son passage à Saint-Quentin à 5 heures, est chargé de faire exécuter la décision.

Le général sent parfaitement que cette mission insolite est une mission de sacrifice. Il est à prévoir que cette garde des ponts par les chars presque seuls ne pourra pas être remplie pendant longtemps. Il suffira de concentrations de feux (aviation ou artillerie) pour neutraliser les chars et forcer le passage.

De toute façon, le temps presse et le dispositif suivant est arrêté :

- ponts d’Oisy : 3e compagnie du 14e B.C.C.,

- ponts d’Etreux à Tupigny : 2e compagnie du 14e B.C.C.,

- ponts Grand Verly à Bernot : 2e compagnie du 27e B.C.C.,

- ponts d’Origny-Sainte-Benoite à Moy : 1ère compagnie du 27e B.C.C.,

- ponts de Moy à La Fère 1re compagnie du 14e B.C.C.

Deux compagnies du 8e B.C.C., débarquées dans la journée à Saint-Quentin, participent l’une (2e compagnie) à la défense de Guise et des ponts de Vadencourt, l’autre (3e compagnie) à celle de Ribemont et Origny-Sainte-Benoite.

 

Le G.Q.G. envisage le 16 au soir le déclenchement d’une grande contre-attaque de chars le 17 au matin avec les 1ère, 4e D.C.R. sur l’axe Marie, Signy-1’Abbaye, en vue d’atteindre la ligne Hirson-Liart, Chaumont-Porcien.

Il est matériellement impossible de rassembler tous ces moyens, et, le 17 au matin, il n’y aura entre Oise et Aisne que le seul groupement de chars du colonel de Gaulle qui agira efficacement sur Montcornet.

 

16 mai du côté allemand

Le XIXe C.A. blindé du général Guderian réussit à progresser vers l’ouest sur une profondeur de 90 km. Les 2e et 1ère Pz établissent des têtes de pont sur la Serre à Lugny, Thiernu, Marie et Dercy. Les éléments de reconnaissance marchent vers l’Oise. La couverture du flanc sud est très faible, mais le général Guderian espère que 1’ arrivée échelonnée de la 10e Pz consolidera le 17 son aile gauche menacée par des incursions possibles de blindés français et particulièrement des 2e et 4e D.C.R.

L’ordre du Gruppe von Kleist dont dépend le XIXe AK n’étant pas parvenu à 23 heures, le général Guderian diffuse son ordre n° 7 précisant pour le 17 les directions d’exploitation.

En évitant Saint-Quentin :

la 1ère Pz marchera vers Hamegicourt, Essigny, Beauvois, Péronne ; Mézières-sur-Oise, Vermand, Aizecourt

la 2e Pz vers Ribemont, Roisel-Nurlu Origny, Epeny, Fins.

Et le général conclut : Il faut tout mettre en œuvre maintenant pour continuer à foncer résolument vers le nord-ouest, au-delà de l’Oise et de la Somme, pour gagner au plus tôt l’objectif de l’opération le littoral de la Manche, pour couper les armées qui se trouvent en Belgique et dans le nord de la France du gros des forces restées en France et ainsi faire prendre un tournant décisif au déroulement de la grande bataille, sinon de toute la campagne.

Plus au nord, la 6e Pz exploite au maximum son succès de la veille.

Le groupement von Esebeck vers Vigneux, Hary, Vervins Ouest, Voulpaix, Wiege-Faty (20h30) et Flavigny-le-Petit (23h30).

Le groupement von Ravenstein vers Dagny, Vervins Est, Etreaupont (22h30) et Marly (22h30).

La 8e Pz, après avoir atteint Liart à 10h45 avec ses éléments de tête, se dirige vers Hirson et parvient aux lisières sud-est de la ville à la tombée de la nuit.

 

 

17 mai

Le 16 au soir, la 2e D.C.R. est toujours aussi tronçonnée : les services sont au sud de I’Aisne ; sept compagnies de chars sont réparties en bouchons d’Oisy à La Fère ; la plus grande partie du 17e B.C.P. est dans la région de Courcelles ; le 2e groupe du 309e R.A.T.T., après avoir protégé le repli du P.C. de la IXe armée sur le Catelet, stationne dans la région de Laignv. Le reste de l’artillerie est en mouvement.

Le général commandant la division ignore la position de ses unités. Il en est resté depuis le 16 à 18 heures (au moment où il quitte Roizy) à la mission de contre-attaque et de nettoyage de la région de Montcornet. Aussi, quand le 17 à 5 heures il arrive à Wassigny, il est tout étonné de l’interdiction qui lui est faite d’aller au rendez-vous fixé au Nouvion, et se dirige vers Bohain au P.C. présumé de la IXe armée pour obtenir quelques éclaircissements. A Bohain, pas de trace de P.C. Le général continue sur Saint-Quentin où, à 8 heures, parvient un message du G.Q.G. prescrivant de regrouper dans la région de Noyon-Compiègne tous les éléments de la IXe armée dont le P.C. est porté à Compiègne.

En conséquence, le général Bruché donne l’ordre de regrouper dans la région à l’ouest de Noyon toutes les unités de la 2e D.C.R.

Pendant ce temps, les unités de chars sont accrochées sur les ponts de l’Oise.

A partir de 4 heures, les Allemands tentent de s’emparer des ponts de Moy, Berthenicourt, Mézières-sur-Oise, Ribemont.

La 3e compagnie du 27e B.C.C. résiste très courageusement ; les trois premiers ponts sont pris à 13 heures ; un officier français découvre sur un colonel allemand fait prisonnier les ordres pour l’attaque ennemie en direction de Bapaume et de Péronne.

Les ponts de Ribemont, pris à revers, succombent au premier assaut, et, en se flanc-gardant vers le sud, les Allemands montent vers le nord vers Regny, Thenelles, Hauteville. La 2e compagnie du 27e B.C.C. contre-attaque vigoureusement à Hauteville et, en début d’après-midi, bloque provisoirement l’avance allemande.

Plus au nord, les Allemands : l’opération qui a si bien réussi à Ribemont traversée du cours d’eau par quelques éléments, prise à revers du dispositif, et attaque générale sur le point de passage. C’est ainsi que Longchamps succombe vers 16 heures.

Le lieutenant-colonel Golhen, chargé de la défense des ponts, donne à la nuit l’ordre de repli... Cet ordre ne parvient qu’aux unités stationnées au nord de Vadencourt... La 2e compagnie du 27e B.C.C. de Longchamps gagne Bohain, La 1ère compagnie du 14e B.C.C. le canal Crozat.

 

Vers 18 heures, parviennent au P.C. de la D.C.R. à Guiscard les documents saisis en fin de matinée sur un officier allemand c’est l’ordre d’opérations des 1ère et 2e Panzer pour la journée du 18 mai en partant de la ligne de l’Oise, en se flanc-gardant face au sud, attaque massive en direction de Bapaume et de Péronne. A l’ordre d’opérations sont jointes des cartes renseignées. Le colonel Perré se rend immédiatement à Compiègne à la recherche du général Giraud. Hélas en vain

Quant aux documents, nul ne sait à Compiègne où se trouve le général Giraud dont on a complètement perdu la trace. Les envoyer au Grand Quartier? Il les recevra trop tard pour pouvoir les exploiter. Le colonel Perré ne peut que les rapporter au P.C. de Cuy. "

C’est en effet sur ce village que se sont repliés le P.C. de la 2e D.C.R. et les éléments qui ont été touchés par l’ordre de regroupement du général Bruché dix-sept chars B - vingt-cinq chars H. C’est ce qui reste de la division cuirassée... Les unités se sont très bien battues individuellement et ont infligé à l’ennemi des pertes très sévères... mais, disloquées, sans échelons, sans appui immédiat, sans défense rapprochée, que pouvaient-elles faire de plus ?

En cette journée du 17 mai, les Allemands vont connaître au XIXe AK une crise de commandement.

Les ordres du Gruppe von Kleist arrivent à 0 h 50. Ils prévoient que le Gruppe " continuera à foncer sans trêve en direction de Saint-Quentin, mais que, dans la journée du 17, il atteindra seulement la ligne Vervins, Montcornet, Dizy-le-Gros et se regroupera. D’importants détachements avancés doivent occuper les ponts de l’Oise. 

Le général von Kleist ne connaît sûrement pas la situation du XIXe corps blindé, puisque, le 16 au soir, les objectifs fixés pour le 17 sont déjà dépassés de 30 km. Le général Guderian décide de ne rien changer à ses ordres déjà partis, et, à 1 h 20, rend compte par écrit au général von KLeist de la situation du XIXe C.A. Il formule deux demandes :

1. que soit défini clairement si le XIXe C.A. doit marcher sur la rive nord ou sur la rive sud de la Somme, pour éviter que se renouvellent les difficultés du 16 mai à Montcornet provoquées par l’emploi concentrique de 2 C.A.

2. que le Gruppe n fasse connaître à temps ses intentions d’opérations afin que puissent être exploitées, dans le sens voulu par le  Gruppe les situations favorables (telles que l’actuelle). 

A 7 heures, le 17, le général von Kleist atterrit au P.C. du XIXe C.A.

Et, après une verte semonce où il ne laisse pas au général commandant le C.A. la possibilité de s’expliquer, il dit Il est interdit de franchir l’Oise, on en reste aux objectifs indiqués dans l’ordre du Gruppe n° 7.

Le général commandant le C.A., personnellement offensé, ne peut en prendre la responsabilité et il donne sa démission. Le général von Kleist est d’accord. Le chef d’E.M. et le chef du 1er Bureau essaient en vain de faire revenir le général commandant le C.A. sur sa décision.

Le général Veiel, officier le plus ancien, prend alors le commandement du XIXe C.A.

L’ordre du général von Kleist est transmis immédiatement par radio aux divisions

 

 

L’ Qise ne doit pas être franchie

Dans le Journal de marche du XIXe C.A. l’on peut noter l’appréciation sur cette décision.

Les divisions restent dans les secteurs où elles se trouvent, en avant du front du C.A. Cela permet à l’ennemi de se replier vers le sud, sans être inquiété, et d’échapper à la menace d’encerclement. Un grand succès est ainsi perdu. "

Quelles sont les raisons qui motivent cet arrêt sur l’Oise ?

Hitler est très inquiet de cette poussée des Panzer et du vide qu’elles laissent derrière elles... Les divisions d’infanterie même motorisées ne peuvent suivre ce rythme, et le Führer craint pardessus tout les contre-attaques blindées que les Français ne vont pas manquer de déclencher sur les flancs et les arrières de ces Panzer-Divisionen. Son succès l’effraie et il ordonne la prudence arrêts, consolidation, regroupement des forces... flanc-gardes.

A 16 h 15, le General Oberst List arrive au P.C. du XIX" C.A. et, après un entretien avec le général Guderian, redonne à ce dernier son commandement.

Cette nouvelle est accueillie avec la plus grande satisfaction à l’état-major du C.A., dont le moral était très éprouvé par les événements de la matinée. "

Un compromis est réalisé pour ne pas désapprouver complètement le général von Kleist.

Autorisation de continuer à pousser de l’avant des reconnaissances puissantes de combat ; toutefois le P.C. du C.A. ne devrait pas quitter l’emplacement actuel afin qu’on puisse le joindre à tout moment. "

Pendant la journée du 17 mai, les 1ère et 2e Panzer ont consolidé leurs têtes de pont sur la Serre et se sont emparées des ponts sur l’Oise, Ribemont, Mézières-sur-Qise, Berthenicourt, Moy. La 10e Pz fait mouvement vers Montcornet pour répondre aux attaques de chars français dans cette région).

Elles n’impressionnent ni le C.A. ni les divisions et n’ont aucun succès appréciable, grâce aux mesures de défense qui ont été prises. L’E.M. du C.A. est toujours d’avis que, pour l’instant, son flanc n’est pas sérieusement menacé et que le succès ne peut être assuré que si l’on continue à grouper fermement les unités et à foncer tête baissée vers le littoral.

Plus au nord, la 6e Pz réussit à s’emparer de Guise (groupement von Esebeck), de Macquigny, à installer des têtes de pont sur l’Oise à Neuvilette et Hauteville (de 12 heures à 17 heures).

La colonne nord de la 2e Pz et le groupement von Ravenstein se rencontrent à Le Herie, et il faut l’autorité du général commandant la 6e Pz pour que la 2e Pz se détourne sur Ribemont, le groupement von Ravenstein se dirigeant sur Origny. Il semble que les axes de marche des deux corps d’armée n’aient pas été très bien définis. Le cas s’est déjà produit le 16 à Montcornet où le général Guderian avait dû répartir les itineraîres entre les 1ère, 2e et 6e Pz.

Au nord, la 8e Pz s’empare d’Hirson, exploite devant La Capelle, où elle pénètre à 24 heures, et un détachement atteint Guise, où il relève un élément de la 6e Pz.

 

18 mai

La journée du 18 mai à la 2e D.C.R. voit l’anéantissement de quelques unités de chars combattant isolément, le repli de certaines formations, un essai de colmatage sur le canal Crozat et la disparition momentanée du P.C. de la division.

Dans la région de Wassigny, les dernières unités de chars, sous les ordres du lieutenant-colonel Golhen, soutiennent une lutte très âpre. Elles sont finalement submergées par le déferlement des blindés de la 8e Panzer. Ainsi disparaît ce qui reste des 2e et 3e compagnies du 14e B.C.C., 3e compagnie du 15e B.C.C., 3e compagnie du 8e B.C.C.

Au lever du jour, le 2e groupe du 309e R.A.T. (5e et 6e batteries) tire sur le pont de Longchamps ses dernières munitions ; malgré la pression ennemie, il retraite vers l’ouest, et, après le passage de la Somme à Bray et Cappy, parvient le 21 dans la forêt de Compiègne.

C’est d’ailleurs dans cette forêt que se rassemblent, dans la nuit du 18 au 19 mai, le Q.G., les 1ère et 3e batteries du 309e R.A.T.T., et des éléments initialement cantonnés dans la région de Reims. Le 17e B.C.P. fait mouvement en direction de Villers-Cotterêts ; il arrive à 19 heures à Elincourt et y passe la nuit.

Avec les éléments cuirassés en état de marche, se constitue un groupement sous les ordres du commandant Aubert et comprenant : une section de chars B du 15e B.C.C. (quatre chars), une compagnie de chars H (six de la 1ère compagnie du 27e B.C.C., six de la 1ère compagnie du 46e B.C.C.) et un détachement anti-chars (deux canons de 47 du 309e R.A.T.T.).

Ce groupement a pour mission, dans un premier temps, de se porter sur le canal Crozat aux ponts de Jussy et de Liez dans un deuxième temps, sur l’Oise entre Origny-Sainte-Benoite et Travecy.

La première partie de la mission est réalisée à la tombée de la nuit par la plus grande partie du groupement, et les ponts de lussy et Liez sont tenus. Le pont de Travecy est même occupé quelques heures par deux chars, mais, sans appui d’infanterie, les blindés regagnent Liez.

Avec les chars B rapidement remis en état, il est constitué une compagnie de marche sous les ordres du capitaine Vaudremont en vue de contre-attaquer les pointes blindées ennemies ayant réussi à traverser l’Oise entre Origny et Moy. Cette compagnie, stationnée à Cuy, quitte ce village dans la nuit en direction de Ham.

Le général Bruché reçoit à 14 heures du G.Q.G., par l’intermédiaire du colonel Desré, un ordre précisant que la 2e D.C.R. est à la disposition de la IXe armée (P.C. à Le Catelet) avec mission :

" De porter les chars qui sont aux environs de Noyon dans la région de Saint-Quentin pour contre-attaquer les chars ennemis qui auraient passé l’Oise de Mont d'Origny-Moy de l’Aisne.

Le général Bruché remet au colonel Desré les documents saisis la veille sur un officier allemand, laisse au colonel Roche le commandement des éléments de la région du canal Crozat et se dirige avec un élément de son PC. vers Le Catelet.

Par Albert et Bapaume, il gagne Cambrai, où il est bloqué. Se mêlant aux réfugiés, il parvient à Arras, où il réussit à téléphoner au général Keller, qui lui donne l’ordre de se rendre à Charnesseuil (à l’est de La Ferté-sous-Jouarre),  en évitant Amiens et en suivant la mer au plus près .

Le général Bruché et les officiers de son état-major arrivent à Charnesseuil dans la nuit du 19 au 20.

 

18 mai du côté allemand

L’entente entre le XIXe AK et le Gruppe von Kleist n’est pas encore parfaite. Les ordres préparatoires et d’exécution du Gruppe sont contradictoires. Le général Guderian n’en tient pas entièrement compte... et maintient ses ordres tout en étant obligé de minimiser l’ampleur des mouvements. Il fait observer à l’officier de liaison qu’il y aurait intérêt à connaître les intentions de l’échelon supérieur avant de donner ses propres ordres. Le XIXe AK s’empare de Saint-Quentin à 9 heures, atteint à 14 heures Tertry et Villeret, où il s’établit solidement dans la soirée, et ses reconnaissances parviennent à Péronne et à Fins.

La 10e Pz se regroupe dans la région Hamegicourt, Ribemont, La Ferté, Nouvion et Catillon avec quelques bataillons du génie. Leur mission est de protéger le flanc gauche du C.A. sur les coupures Somme, Serre, de Falvy à Mortiers, en détruisant les ponts sans importance et en conservant les ponts nécessaires à une exploitation possible vers le sud.

Il est intéressant de signaler l’emploi de cette unité de barrage du colonel Muller qui, en coopération avec la 10e Pz, attaque les ponts occupés, s’empare de la plupart des points de passage, fait sauter certains ponts, en garde d’autres intacts et les défend par des barrages de mines et une organisation en points d’appui. Par l’étude des réactions de l’adversaire, cette formation donne des renseignements précieux à ses chefs.

L’unité de barrage s’est heurtée aux éléments de la 2e D.C.R. au nord de Jussy, au sud de Remigny et au nord de Quessy.

Dans son analyse de la situation en fin de journée), le général Guderian conclut :  La poussée des divisions blindées au-delà de l’Oise et de la Somme ne rencontre aucune résistance notable de l’ennemi. On ne remarque pas de défense organisée d’unités constituées, ce sont de petites unités qui résistent. "

Pour cette raison, il déplore encore que l’élan des troupes ait été freiné par les ordres de l’échelon supérieur, et il déclare que les inquiétudes du Haut-Commandement sur la sécurité du flanc sud sont sans fondement depuis l’intervention de la 10e Pz et de l’unité de barrage, et il insiste pour obtenir sa liberté de mouvement jusqu’à la côte de la Manche.

Plus au nord, la 6e Pz comprend deux groupements, von Ravenstein au sud, von Esebeck au nord, le 1er s’empare de Fontaine (10 h 30), Croix (11 h 30), Méricourt (12 h 45), Le Catelet (19 h 30) et établit une tête de pont à Vandhuille. Le 2e est à Fresnoy à 11 h 30, et à 10 km au sud de Cambrai à la nuit.

La 8e Pz éprouve plus de difficultés ; opérant en flanc-garde au nord du dispositif, sa progression est ralentie par les coups de boutoir partant d’Etreux, de Wassigny et elle s’établit provisoirement en défensive sur le front Sevoncourt-ron.

Le général commandant le XXXXIe AK juge ainsi la situation.

L’ennemi, tant sur le flanc qu’en avant du front de la 8e Pz, ne représente pas un danger bien sérieux, et ces attaques locales ne sont que des coups d’épingle de l’adversaire, privé de commandement unique. Il n’y a qu’une mission pour le XXXXIe AK : foncer sans s’inquiéter de la droite ni de la gauche en direction de l’objectif fixé pour le 19 mai par le Gruppe von Kleist. 

 

19 et 20 mai

Le groupement du commandant Aubert et la compagnie de marche du capitaine Vaudremont lancent les attaques prévues le 18 au soir pendant que les restes de la 2e D.C.R. essaient de se regrouper dans la forêt de Compiègne.

Le 19, entre 8 h 15 et 9 h 15, trois colonnes débouchent du canal Crozat, la 1ère (compagnie de marche) de Saint-Simon en direction d’Origny, la 2e du pont de Jussy en direction de Mézières-sur-Qise et Sissy, la 3e de Mennesis vers Vendeuil et Moy.

Les chars de la première colonne s’emparent rapidement de Saint-Simon et progressent vers Artemps. Mais, pris à revers, ils mènent un combat très âpre et succombent sous le nombre.

La deuxième colonne, en partant de Jussy, atteint Essigny-le-Grand, cause à l’ennemi des pertes sévères à bout de munitions, elle rentre à Jussy.

La troisième colonne occupe facilement le pont de Travecy, soutient de 9 heures à 17 heures des combats sporadiques au pont de Vendeuil, ne réussit pas à atteindre le pont de Moy, arrêtée à Ly-Fontaine par des engins blindés ennemis très nombreux.

Les chars en état de marche repassent à 18 heures le canal Crozat. Ceux qui peuvent encore combattre sont affectés à la défense des ponts entre Saint-Simon et Tergnier, les autres sont dirigés vers l’ouest pour être réparés.

 

19 mai du c6té allemand

Le général Guderian, commandant le XIXe AK, vit une matinée très anxieuse, parfois dramatique, où ses prévisions tactiques ont failli être mises en échec.

Les 1ère et 2e Pz doivent atteindre avec leurs gros la ligne Péronne-Fins, établir une tête de pont sur le canal du Nord sur la ligne Le Mesnil-Cléry (franchissement du canal à 14 heures), la 10e Pz et l’unité de barrage assurant la flanc-garde sud.

A 2 h 35, le XIXe AK reçoit un message radio signalant que le dépôt de carburant d’Hirson est en flammes. C’est là que les divisions blindées doivent faire les pleins le 19 au soir. Elles n’ont donc plus qu’une journée de carburant.

Les comptes rendus de la 10e Pz contre les têtes de pont françaises de Ham, Jussy, Quessy, Saint-Simon sont vainement attendus au début de la matinée. Enfin, à 11 h 30, le général commandant la 10e Pz signale que l’attaque contre Ham a été un échec et qu’il n’a aucune certitude en ce qui concerne les autres opérations. A 12 h 30, des chars français sont signalés à Benay, à 13 h 05 de l’infanterie et des chars français à Essigny. L’aviation allemande a observé le rassemblement de cent chars au sud de Crécy. A la même heure, un sous-lieutenant du génie du Sperrverband rend compte : " Je n’ai plus de liaison depuis sept heures avec mon chef, et depuis quelques heures pas de nouvelles des compagnies. L’unité de barrage est exterminée. " 

Serait-ce la grande contre-attaque française vers Saint-Quentin ? Trois solutions s’offrent alors au général Guderian :

Stopper l’attaque du corps d’armée en direction de l’ouest, et s’établir en défensive face au sud.

- Contre-attaquer vers le sud toutes forces réunies.

-  Ne rien changer aux ordres et poursuivre l’attaque vers l’ouest.

Le commandant du XIXe AK choisit la troisième solution... Les 1ère et 2e Pz continuent leur progression vers l’ouest, la 10e Pz doit être en mesure de bloquer cette attaque française en attendant l’arrivée de renforts de l’arrière.

Au courant de l’après-midi, tout se clarifie et justifie le raisonnement du général Guderian. A 15 h 30, les C.R. annoncent que les chars français sont détruits à Essigny, que l’attaque sur Crécy est repoussée. Un message annonce de plus que le dépôt de carburant d’Hirson n’est pas détruit par le feu  (ausgebrannt), mais qu’il est prêt à fonctionner (ausgabebereit). L’erreur de terme dans la transmission du message a fait passer quelques heures d’angoisse au général Guderian.

Pour les Allemands, la journée s’achève dans l’optimisme sur la nouvelle de la capture de deux généraux français, dont le général Giraud, et de cinquante autres officiers. L’ordre du Gruppe pour le 20 donne enfin au général Guderian ce qu’il réclame depuis le début des opérations la liberté de manœuvre. Il est plus que jamais convaincu que, devant un ennemi aux réactions sporadiques, fractionnées, divergentes, l’audace et même la témérité paient... et l’on sent, dans les ordres très brefs mais claironnants du général Guderian à son C.A. pour le 20 mai, toute l’allégresse du chef victorieux :

Objectif Côte de la Manche et Somme inférieure. 2e Pz Abbeville. 1ère Pz Amiens. "Et il ne peut même s’empêcher de se juger avec orgueil que Le XIXe AK a pris ainsi une mesure d’une portée historique.

 

 

CONCLUSION

 

En une semaine de combats, la 2ème D.C.R. a disparu...

Durant cette période, a-t-elle jamais existé en tant que grande unité ?

Sans avoir livré de grands combats, elle a eu des pertes disproportionnées aux actions engagées.

Le 20 mai au matin, il lui reste :

- sur les soixante-deux chars B ayant quitté Chalons, dix en état de marche, sept en révision, deux à évacuer sur l’intérieur (quarante-trois chars ont été détruits)

- sur les quatre-vingt-treize chars H, douze sont en état de marche, vingt-sept en révision (cinquante quatre ont été détruits).

Au total, 64 % du matériel et 18 % du personnel ont été anéantis.

Tous les équipages ont fait leur devoir, et les actes d’héroïsme individuels ont montré que la glorieuse tradition des chars était bien respectée... Quelle est donc la vraie raison de l’échec? Le fractionnement initial des unités pour le transport et l’impossibilité de regrouper ces unités pour les faire agir en masse sont certainement les facteurs déterminants de l’insuccès. Le général de division et ses subordonnés ont vainement tenté l’impossible pour réaliser ce regroupement. Mal renseigné sur la situation générale, sur la position de ses unités, en mouvement ou engagées sans son accord, le général, malgré la grande activité de son état-major, n’a pas pu vraiment commander. Les ordres contradictoires d’autorités supérieures n’ont fait qu’accentuer l’émiettement. Une occasion aurait pu être saisie le 15 mai de rassembler la division dans la région de Vervins, comme le suggérait le général Bruché. Le Haut-Commandement a décidé de parer au plus pressé pour essayer de colmater la brèche et il a été amené à engager les unités de la D.C.R. successivement, par petites formations... Les coups de boutoir de quelques compagnies de chars n’étaient pas assez tranchants pour bloquer les raids des formations blindées adverses entreprenantes, et même téméraires. Ne disposant pas d’autres troupes, le Haut-Commandement a été amené à faire assurer la garde des ponts sur l’Oise, le canal de I’Oise et le canal Crozat, par un certain nombre de bataillons de chars ; avec des appuis trop faibles, l’action ne pouvait être que temporaire ; insuffisamment étoffée, cette garde était vouée à l’anéantissement.

Privées de leurs éléments de dépannage et de ravitaillement, les unités ont agi au mieux en l’absence de liaison avec l’unité supérieure. L’esprit d’initiative a été remarquable à tous les échelons, mais il n’a pas remplacé la coordination indispensable à une opération d’envergure.

Sans doute est-il facile de conclure a posteriori qu’il eût mieux valu attendre que toute la division fût regroupée pour la faire agir en masse sur le flanc des blindés ennemis se ruant vers la mer... et que le temps gagné à vouloir colmater la brèche par de petits éléments était en fait du temps perdu?

Le rythme imposé à la bataille par l’ennemi a dépassé toutes les prévisions du Haut-Commandement français... Pour faire face, il lui a manqué au moment opportun des réserves mobiles et puissantes qui, par une action générale, auraient pu anéantir les Panzer allemandes étirées et sans soutien immédiat d’infanterie.

 

Lieutenant-colonel LE GOYET


source :  http://www.chars-francais.net/archives/unites/1940/2e_dcr.htm